Passés l’inscription, les nombreux mois d’attente entrecoupés d’une réunion préparatoire, voilà le groupe réuni autour de François à Roissy. Nous sommes tous inquiets tant le climat social est tendu ; l’attentat chez Charlie hebdo la veille, une prise d’otages le jour-même, et puis cette évacuation au moment des enregistrements, causée par un bagage suspect, les militaires et les policiers omniprésents… Inquiets et presque coupables de quitter cette France qui va mal pour nous envoler vers d’autres horizons .

Avec un peu de retard, l’avion décolle et nous oblige ainsi à lâcher-prise… Nous transitons par Delhi où la température est beaucoup plus clémente qu’à Paris, et avons déjà un petit aperçu de l’Inde. Puis nous repartons vers notre destination finale, Chennai, où Raju nous attend avec son équipe de chauffeurs et les 6 véhicules. Il fait très chaud, la circulation très dense, le concert de klaxons, le brouhaha de cette marée humaine avec moyens de transports multiples et surprenants, nous subjuguent et nous enivrent ; Voilà, nous y sommes, c’est l’Inde du Sud, ce voyage dont nous rêvions, et nous savons que dès le lendemain matin nous allons nous arrêter saluer les brodeuses à l’Atelier.

 

C’est avant tout pour elles que nous sommes là et nous avons hâte de découvrir cet endroit et toutes ces personnes pour lesquelles nous organisons des expositions en France. François nous en a tant parlé et nous avons senti tellement d’émotions dans sa voix quand il décrivait Pondichéry, le Tamil Nadu et toutes ses traditions ancestrales. Il ne nous a pas menti, tout y est...et l’accueil que nous réserve les brodeuses en saris chatoyants, avec leurs fleurs, chants français et prières universelles (en Inde les différentes religions cohabitent aisément), nous bouleverse. Nous repartons, les yeux humides, un peu frustrés de cette courte entrevue, mais en sachant que nous passerons plusieurs jours avec elles au retour de notre périple de 3000 kms dans le Tamil Nadu, le Kerala et le Karnataka.

Nous réalisons au fil des jours à quel point François nous a magnifiquement organisé ce périple. Il se révéla être un guide hors du commun, traduisant même ce qui n’a pas été dit. Les visites au long des routes sont des plus variées, des superbes temples hindous aux lieux les plus insolites. Nous découvrons l’artisanat local dans toutes ses variétés ; la taille de pierre, la fabrication des bronzes, le tissage de la soie aux tons arc-en-ciel, des cotons aux couleurs lumineuses sans pareil, le filage et tressage des cordes en coco, les différentes étapes de fabrication de la mélasse, la cuisson des briques faites à la main… Nous découvrons également des cultures non pratiquées dans nos régions et sommes émerveillés devant la beauté des tonalités de verts des rizières, devant les jardins de thé et leurs vagues verdoyantes, les jardins d’épices de toutes sortes et leurs parfums délicats. Désormais, affairés dans notre cuisine, nous évoquerons les images des plantes qui produisent cardamome, curcuma, cannelle, muscade, poivre, et bien d’autres encore, et elles auront, sans aucun doute, une autre saveur.

 

 

 

 

Nous nous arrêtons au bord des routes pour déguster un jus de coco dans une noix verte décapitée avec dextérité devant nous, du jus de canne à sucre pressé, en direct, et mêlé de gingembre frais et de citron vert. Quel délice ! François, en nous faisant goûter toute la cuisine indienne, nous fait goûter à toute cette Inde qui est son berceau, partageant ainsi ses souvenirs d’enfant. Au fil des jours, nous avons l’impression de vivre dans les toiles que nous avons tant admirées, toiles que nous ne pourrons plus regarder comme avant, car désormais empreintes de vérité.

 

Avec émerveillement, nous assistons à la fête de Pongal et, en nous mêlant à toute cette jeunesse joyeuse

et accueillante, à toutes ces femmes revêtues de leurs plus beaux saris pour la circonstance, ces hommes en dhotis blancs et dorés, nous partageons leurs rites et ressentons leur ferveur. Nous sommes amusés par la promenade à dos d’éléphant, et celle tant attendue à bord de petits bateaux dans les "backwatters" où la vie au bord de l’eau est tout aussi intense qu’ailleurs. Tout y est pratiqué dans cette eau ; baignade des enfants, lavage de vaisselle ou de linge, élevage de canards et pêche avec des lignes improvisées qui n’ont rien à voir avec nos matériels sophistiqués ; une vie simple et efficace. L’occasion nous est donnée, également, d’admirer le savoir-faire des pêcheurs au carrelet sur le bord de mer de la côte ouest et bien évidemment les splendides couchers de soleil sur la plage de Cochin. Comme des enfants, nous sommes ravis de nous tremper dans cette eau tiède afin de nous rafraîchir tant il fait chaud, mais les pieds seulement, les vagues y étant trop dangereuses.

 

 

Tout au long de notre périple à travers des paysages très variés, de plaine, de petite montagne, de bords de mer, de petits villages, de villes, nous constatons que les maisons sont aussi colorées que les saris, de la...

paillotte en toit de feuilles de palmier à la belle demeure. Mais nous constatons également que nos normes françaises, en matière de sécurité, sont loin d’être les normes indiennes, et notre regard d'européen est...

 

...souvent interloqué. Par contre, il est à noter que les plus beaux bâtiments neufs sont des collèges et des universités et l’on comprend bien que désormais, l’Inde a tout misé sur l’éducation de sa jeunesse pour s’en sortir.

Que dire encore de ce qui nous a marqué ; les visites dans les villages et les échanges avec leurs habitants ; les vaches peintes et ornées de fleurs au bord ou sur les routes ; les marchés débordants de couleurs avec 

de jolis tas de légumes élégants et savoureux, notre balade en bateaux ronds tressés enduits de goudron ; les kolams magnifiques décorant les trottoirs et dessinés par les femmes devant leurs maisons, chaque matin, à main levée avec de la poudre colorée, afin d'apporter la prospérité ; l’extrême habileté de nos chauffeurs à se frayer un passage dans cette circulation plus que dense où nos règles occidentales ne sont pas de mise et où chacun se pousse sans se toucher, où le plus imposant passe en priorité mais où les vaches sont sacrées et imposent leur tempo ; la pauvreté mais beaucoup de dignité ; et tout cela sous un soleil magnifique, une chaleur de 30° minimum et des fleurs éclatantes de couleurs et de beauté. Et n'oublions pas les jolies surprises que François a semé sur notre route pour la rendre encore plus attrayante, nos pique-niques en faisant partie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et puis nous voilà rentrés à Pondichéry, avec ce nouvel accueil à l’Atelier tout aussi touchant que le précédent. Le groupe de voyageurs visite toutes les pièces de l’Atelier avec les différentes étapes de création des toiles, des dessinatrices en passant par celles qui calquent les motifs sur les tissus, ceux-là même qui passeront ensuite aux mains habiles des brodeuses, sans oublier le personnel qui participe à l’approvisionnement des matériaux, l’organisation du secrétariat et l’apprentissage des nouvelles recrues  s’initiant à la broderie par applique, marque incontournable de cet atelier. Pour finir, nous visitons la garderie et l’accueil de ces bambins est bouleversant, jusqu’à ceux qui dorment paisiblement dans des saris-hamacs suspendus au plafond. Nous revenons le lendemain, après avoir visité le dispensaire du Dr Bala et la structure où il accueille des enfants handicapés, ces enfants qui nous ont préparé un petit spectacle très touchant. Le Dr Bala, malgré ses lourdes charges professionnelles, vient chaque jour à l’atelier veiller à la santé de « nos brodeuses », et c’est, sans aucun doute, un homme d’une exceptionnelle qualité emprunt de beaucoup d’humilité.

Ensuite, nous partageons un repas que nous offrons aux membres de tout l’Atelier dirigé bénévolement et paternellement par M. Gérard. Nous nous installons pour assister au spectacle organisé à notre intention,

nous, assis sur des chaises en plastique colorées et les brodeuses assises sur le sol du préau. C'est un moment magique et émouvant où l’on sent toute l’attente qu’elles ont à notre égard, de poursuivre la mise en œuvre des expositions en France, et toute leur reconnaissance de leur procurer le moyen de vivre décemment. Autant vous dire que nous sommes tous en larmes au moment des adieux, chantant et priant avec elles.

Le retour à Paris, harassés de fatigue mais remplis de magnifiques émotions et de couleurs, nous « rafraîchit» les idées brutalement. Il gèle, c’est l’hiver, et nous devons nous séparer et rejoindre nos vies respectives… Nous nous retrouverons, c’est promis… Un énorme merci à François pour la réalisation de ce beau rêve éveillé, secondé très efficacement par Raju, et merci également à nos chauffeurs attentionnés, pour avoir veillé sur nous jusqu'à nous prendre par la main lors des traversées de routes dangereuses. Il est magnifique et incroyable votre pays !  Nous allons faire tout notre possible pour continuer à faire vivre l’Atelier de Pondichéry!

 

 

MCLH